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Transfiguration


Habiter en permanence dans la rue est une expérience très douloureuse. Sans feu ni lieu, un homme n’est qu’une proie pour l’ombre, une victime du néant. Chaque hiver mortifie les errants jusqu’au trépas de quelques-uns de ces habitants des grands fonds. Non, il n’y a pas d’homme de la rue, seulement un passager furtif qui ne ressemble à rien. La foule bigarrée est elle-même si banale qu’on n’y distingue à peu près personne, hormis les anges dissimulés sous un aspect plausible. Dans la rue, les êtres humains ne font que passer.
 

En 1980, parmi les autres horreurs du moment, une affreuse affiche sollicitait le regard de la multitude. Il s’agissait d’une minable réclame politique d’un minuscule parti. Mais disait-on, l’image du politicien sincère ne lui ressemblait pas. Bref c’était une affiche faible, sinistre et vaine d’un néo-libéral à faire pleurer.
 

Pour Michel Wauthoz, il fut tentant de transfigurer cette affiche à partir de ses propres éléments constitutifs et de recomposer une image significative en fonction d’une révision du sens. À cette époque, cet essai s’inscrivait déjà dans la perspective d’un art dialectique.
 

 étude 1  étude 2

deux études (1980)
 

D’abord, trois exemplaires de l’affiche sont le support de variations picturales comme principales études préliminaires, auxquelles s’ajoutent d’autres études secondaires. Ensuite, une première peinture sur toile est encore suivie d’une recréation sur affiche. Enfin, une deuxième toile clôture la série. Au contraire des études qui utilisent directement toute l’affiche comme un crayonné, les deux toiles en intègrent des fragment comme des éléments plastiques «ready-made».
 

 Transfiguration 1 - 1980
 
Transfiguration 1 - 1980
Acrylique, papier, photo sur toile de 70 x 60 cm
 
 

La référence de ces peintures n’est pas la figure, le portrait, le paysage, la nature morte, l’histoire, la scène de genre, l’idée, le concept, … mais un objet signifiant : une image concrète diffusée dans la société pour en orienter partiellement l’activité. Ici il ne suffit plus d’interpréter la réalité ni de la représenter selon des critères plus ou moins opérationnels : surface, couleur, clair-obscur, modelé, volume, lumière, matière, perspective, géométrie, graphie… mais de peindre «sur le motif» au sens littéral du terme, en partant des données visibles ou connues, pour le transformer selon une vision originale de cette réalité.
 

 peinture sur affiche
 
récréation
 

Un tel réalisme, somme toute assez traditionnel, serre le sujet au plus près, et ici à la gorge !  Par conséquent, la nature du sujet affecte tout l’aspect formel du tableau. Cet art intègre les acquis de la peinture sans les dissoudre dans une spécificité dominante. Il essaie de redéfinir l’espace pictural du tableau et les symboles qui l’habitent en augmentant autant que possible le sens de l’image. Il met en oeuvre la contradiction à un message autoritaire, prédéterminé, comme un droit de réponse perfectionné.
 

Par exemple, une enquête sociologique du journal «Le Soir» indiquait qu’une certaine partie de la jeunesse se laissait embobiner par la démagogie d’un parti. Cette enquête est évoquée dans le décor de la deuxième toile, par un fragment de sa réclame réduite à l’essentiel. Au premier plan, le député doit surtout craindre d’être démasqué par une réflexion plus sinueuse. La cravate, dont il paraîtrait qu’elle est un symbole vestimentaire du sexe masculin dans nos sociétés, s’anime et incarne la vitalité de cette jeunesse désorientée, et agit pour sa clairvoyance. Au grand dam du pitre qui voulait se les attribuer avec cette tête là !
 

 Transfiguration 2 - 1981
 
Transfiguration 2 - 1981
Acrylique, papiers sur toile de 70 x 60 cm
 

Ces oeuvres ne doivent rien démontrer, comme l’exigerait la réfutation par une véritable argumentation. En politique, on ne fait jamais que la démonstration de sa force, et en réclame politique, on en appelle plutôt aux bas instincts. La plupart du temps le mode le plus superficiel y excelle de sorte que le sujet ne méritait aucun des égards qu’il refuse lui-même au public.
 

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