Surimages > Surimage21 > transfiguration (page 1)
Transfiguration (suite)


Le public de ces peintures est évidemment étranger à la politique du pire et, avec le temps, il perdra sans doute de vue l’aspect anecdotique qui en est à l’origine. Mais aussi particulier qu’il soit, ce point de départ n’en est pas moins nécessaire car il fonde ce travail artistique sur une base aussi réelle que n’importe quel paysage ou modèle. Et l’on verra que le développement à tout casser de la réclame politique alimentera toujours davantage le sens du masque et de la réalité outrancière qu’il recouvre. «À bon vin point d’enseigne» disait-on jadis quand la parole n’était pas confisquée. Doit-on donc comprendre à l’expansion du secteur publicitaire et des media que les meilleures choses n’auraient plus droit de cite, ni d’être citée ? Le public sera-t-il dupe et prendra-t-il des réclames pour de la publicité ? Et confondra-t-il des publicitaires avec des publicistes comme les Diderot, Marat, Zola, … ?
 

 la place Bremer est au centre du cercle plus foncé

Vue aérienne du site = place colonel Bremer
 

Sur la place colonel Bremer à Bruxelles, le dialecticien fut confronté à l’affiche originale ayant subi une soustraction radicale par l’écorchure de 72% de sa surface utile. Sans doute était-ce l’oeuvre d’on ne sait quel vandale qui procède d’instinct sans foi ni loi, mais dont les gestes sont parfois d’une rare rationalité.
 

 l'affiche écorchée  après transformation

avant
 

après
 

Cette pure soustraction, digne du mouvement moderne de l’art, sera augmentée par six interventions telles que dessins, peintures, collages, pour reconstruire une image avec un sens dérivé. Forcément, les trouvailles d’atelier : graphisme contraire des yeux et asymétrie (étude), chemise brune et cravate verte, main en page boursière et masque, élaborées lors des études et des oeuvres de chevalet, s’y retrouvent intégrées.
 

 Dessin d'étude - 1980

étude
 

Lors de l’exécution, les interventions de quelques dizaines de secondes chacune, bénéficient de longues méditations tout en gardant la fraîcheur du geste spontané. Par exemple le premier dessin au feutre vert est d’une maladresse toute juvénile. Par conséquent, depuis l’arrachage de rage jusqu’au collage du masque «ready-made», on progresse pas à pas de l’instinct à la réflexion. La première peinture sur toile témoigne explicitement de ce jeu à l’extérieur car, dès cette rencontre sur la place publique, ces travaux de transfigurations deviennent pratiquement simultanés.
 

 comme un graffiti

vue générale de l'oeuvre sur la cabine de téléphone
 

Mais l’expression vivante qui couche dehors sur 3000 cm2 souffre le martyre. Les intempéries et les ultraviolets ne sont pas pires que les ongles crasseux des tarés, car leurs médiocrités physiques ou mentales les ont rendus ennemis de la beauté, de la bonté, du bien, du droit, de l ‘intelligence et de l’humour, au point de trouver leur seul plaisir à empoisonner la vie d’autrui.
 

Tous ces enfants d’Albérich qui fit un jaune anneau de l’or du Rhin, forment la sombre légion qui concourt à l’anéantissement des moindres tentatives de progrès et de toutes les alternatives à la barbarie. Ils en sont souvent d’ailleurs les premières victimes. L’affiche transfigurée dut donc aussi subir les outrages d’un de ces nabots, et quoiqu’ils sont dispersés, inorganisés, malhabiles, stupides, faibles et lâches, leurs gestes possèdent la cohérence de ne s’attaquer qu’aux meilleures parties, car ils sont fondés sur un monolithe de haine bétonnée d’ignorance.
 

Le dimanche 4 janvier 1981 entre midi et quatorze heures, un premier attentat est commis contre le masque en papier collé. Mais par bonheur, le 18 janvier, la réparation des dégâts augmente encore la beauté générale de l’ouvrage. Une semaine plus tard, un quidam trace autour quelques graffiti, et en place un dans la chevelure qui y fait le plus bel effet. Soudain le mardi 3 février, le personnage est défiguré par un sadique opérant avec une pièce de monnaie dans la chair tendre du papier mouillé par les averses récentes. La photographie ci-dessous montre ce qu’il en restait le jeudi 12 février à treize heures.
 

 défiguration de la transfiguration

ce qu'il en restait ...
 

Cette progressive détérioration fait elle même partie d’une oeuvre dialectique en ce sens que tout ce qui vit finit par périr et que la vie est une âpre lutte pour se maintenir au milieu du temps. Bien sur, aucune oeuvre n’est faite pour périr, au contraire elle ambitionne l’éternité, mais elle meurt plus vite sous les coups que de l’usure du temps. Cette oeuvre avancée fut la pointe de touche d’un essai de transformation sémantique. Et ce passage par la rue est seulement un aspect nécessaire et forcement expérimentale pour retrouver le fil d’Ariane qui peut guider nos héros vers une communication unitaire.
 

L’art et la philosophie produisent des êtres surnaturels qui ne sont vivants que dans la mesure où ils sont mortels. Chefs-d’oeuvre et pensées géantes sont des cristallisations de la vie humaine déterminée par les conditions historiques données : nature et société. Ebauchée quelquefois, la vie avec l’art et la pensée ne s’est encore jamais accomplie. Tandis que la sacralisation des oeuvres et des pensées qui se dressent avec majesté devant les hommes, est semblable à l’institutionnalisation des formes d’organisations que l’humanité s’était aménagé pour vivre en communauté.
 

Sacraliser et institutionnaliser neutralisent les actions bénéfiques de la philosophie et de l’art qui contribuent à rendre ce monde plus humain. Les oeuvres et les pensées doivent vivre parmi les gens pour êtres vraies. La mise en oeuvre de l’art et de la philosophie entraîne une transformation concrète du monde réel.
 

vers la page précédente